Il est difficile de porter un jugement sur le printemps arabe et son prolongement en se prémunissant de deux écueils qui nous sont pourtant familiers : la tentation téléologique, d’une part, qui consiste à penser que le progrès démocratique est inéluctable, parce qu’il coïncide avec le désir, proprement humain, de liberté ; et européocentriste, d’autre part, c’est-à-dire notre propension à penser l’histoire du monde comme une répétition de l’histoire européenne.
Alors, à cet égard, il est difficile de ne pas nous souvenir que notre propre révolution française a mis près de 81 ans avant d’aboutir à une République pérenne. Bien sûr, cela ne dit rien du débouché politique que trouveront les mobilisations massives des égyptiens (on parle de 14 à 17 millions de manifestants, 22 millions auraient signé la pétition du collectif « Tamarod » contre 13 millions d’électeurs lors de la Présidentielle) réclamant la démission de Mohamed Morsi. Mais nous pouvons, je pense, saluer cette jeunesse égyptienne qui ne transige ni avec l’exigence démocratique, ni avec la volonté de trouver des réponses concrètes à ses problèmes économiques et sociaux.
Cet acte II de la révolution égyptienne, et quelle qu’en soit l’issue, tend à faire mentir tous ceux qui expliquaient que les dictatures passées étaient le seul rempart possible contre l’intégrisme islamiste. De même, les partisans de la théorie du choc des civilisations, pour qui il était inéluctable que les révolutions débouchent sur la prise du pouvoir des islamistes, voient leurs certitudes mises à mal : les peuples arabes aspirent, comme les autres, à une meilleure prise en compte de leurs volontés et de leurs attentes.
Et c’est de cette double revendication que découle la mobilisation contre Mohamed Morsi, de même qu’elle est à l’origine de la révolution dite du 25 janvier 2011. En effet, d’après Khaled Daoud, principal leader de l’opposition, les Frères musulmans ont échoué à résorber la crise économique qui touche l’Egypte. Dans un pays fragilisé par des années de privatisations et de libéralisations de l’économie qui l’ont rendu très dépendant de l’aide internationale, des importations et du tourisme, la population accuse une inflation de près de 9% sur les denrées alimentaires et une croissante qui passe de 5,1 à 2,5% depuis la chute d’Hosni Moubarak.
Ce nouveau sursaut du peuple est donc une révolte pour conquérir son autonomie, pour reprendre la main sur son destin économique et politique. La jeunesse égyptienne n’entend plus se laisser confisquer sa souveraineté. Elle a mal supporté la remise en cause de certaines libertés au nom de la charia et la mainmise de plus en plus prégnante des Frères musulmans sur le pouvoir.
Si peu de choses rassemblent la révolution égyptienne et les mobilisations de la jeunesse brésilienne ou celle des jeunes Turcs, et sans tomber dans une analyse simpliste, il semble que ces affinités entre les revendications et les mobilisations démontrent une chose : la jeunesse est en éveil et elle semble déterminée à se battre pour sa liberté et pour ses droits.
Alors, il nous faut maintenant espérer que l’armée d’Egypte tienne ses promesses et rende le pouvoir au plus tôt. La prise du pouvoir par la force, dans quelle condition que ce soit, est très inquiétante. Pour répondre aux attentes exprimées, de nouvelles élections devraient être organisées rapidement pour ne pas laisser la situation s’enliser, les tensions s’exacerber. Aujourd’hui plus que jamais, l’Egypte nous démontre que la démocratie n’est jamais un acquis, c’est un combat perpétuel qui requière notre vigilance quotidienne.