Pacte de retour au Sénat


Hier le 9 avril a eu lieu la seconde lecture du texte PACTE ( croissance des entreprises ) au Sénat,

voici mon intervention !

le lien vers la  vidéo, et la version écrite

 

http://videos.senat.fr/senat/2019/04/encoder1_20190409141359_1_5688000_6043000.mp4

 

 

Discussion Générale, Intervention de Jean-Louis Tourenne le 9 avril 2019

 

Le titre  était alléchant: Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises ! Il sonne comme un magnifique slogan publicitaire sans en tenir, loin s’en faut, les promesses.

Bâti sur les propositions du rapport Notat-Sénard, il n’en retient qu’une dose homéopathique espérant que le résultat final conservera la mémoire de la molécule première.

 

  • En réalité le projet traduit un libéralisme exacerbé  avec des effets toxiques pour les salariés qui assurent la prospérité et la création de richesses. Libéralisme dogmatique jusqu’à la caricature mêlant dans un même élan les privatisations, la quasi-suppression  des certifications, le refus d’un partage équitable de la richesse, le rejet d’une juste représentation des salariés dans les instances de gouvernance.
  • Des privatisations que rien ne vient justifier et dont on peine à saisir les véritables motivations tant les explications sont laborieuses, les artifices si alambiqués que leur auteur, lui-même, semble ne pas y croire. Martial Bourquin a développé avec la force de conviction qu’on lui connaît, l’ineptie que représentent ces privatisations.
  • Bernard Lalande et de nombreux sénateurs de tous horizons se sont émus du relèvement, sans ménagement ni délai des seuils de certification légale par commissaires aux comptes sous prétexte d’alignement et d’économie -en réalité illusoire – pour les PME

Pourtant :

  1. Le seuil de certification européen n’est pas prescriptif et les seuils d’audit légal sont différents selon les pays qui ont bien intégré que « la confiance n’exclut pas le contrôle » en adaptant les seuils à la dimension de leur tissu économique et à sa territorialité.
  2. En supprimant le commissaire aux comptes dans les holdings en cascade, qui peuvent créer de nombreuses filiales dispensées de produire des comptes certifiés, vous donnez rendez-vous à l’opacité fiscale, à l’opacité sociale, à l’opacité financière. Et cela malgré les recommandations du rapport De Cambourg qui vous appelait à sécuriser l’organisation des entreprises en groupe.

Ce faisant vous ouvrez la porte aux dérives financières, aux détournements  et vous la fermez devant l’obligation d’alerte.

  1. Enfin, en refusant un délai d’application au 1er janvier 2022 pour permettre à la profession d’engager sa mutation, vous mettez en péril 3 000 cabinets de proximité (sur 13500) et le probable licenciement de 7 000 employés sur tout le territoire français.

 

Vous vous gaussiez alors d’une alliance contre nature, selon vous, entre droite et gauche sur ces thèmes. Il ne devrait pas vous étonner pourtant – sauf le manque d’habitude peut- être – qu’on puisse se rassembler pour se porter garants des valeurs républicaines quand les intérêts vitaux de la nation sont en jeu.

  • Le relèvement des seuils pour les entreprises pourrait s’entendre sauf que l’occasion est saisie de pénaliser plus encore les salariés et priver nombre d’entre eux du bénéfice de la participation ou de la protection du règlement intérieur. Pendant 5 ans au moins et l’éternité  parfois
  • L’Allemagne, votre modèle,  accorde  jusqu’à 50% des sièges des CA. Mais les salariés français n’ont que la portion congrue.
  • Timide dans l’élargissement de l’objet de l’entreprise que l’article 1833 du code civil définit comme servant uniquement l’intérêt commun de ses associés, vous avez refusé  que les salariés soient enfin admis comme l’une des  deux parties constituantes.

Vous n’êtes pas avare de déclarations vertueuses sur l’éventail des salaires, sur les avantages des dirigeants dont Tom Enders illustre l’inacceptable. Ces condamnations paraîtraient plus sincères si n’aviez rejeté nos propositions de plafonnement des hauts salaires, de limitation des retraites chapeaux et autres stock-options, d’interdiction de versement de  dividendes financés par l’emprunt ou à la suite de licenciements.

Il est vrai qu’en chemin, vous avez trouvé plus ultra que vous en matière de libéralisme. La majorité de droite n’y était pas allée de main morte :

  • Relèvement du seuil de 50 à 100 salariés avec véritable régression sociale.
  • Refus de toucher à l’objet de l’entreprise sous prétexte de fragilité juridique, argument curieux qui permet d’en rester à la mouture de 1804 remaniée 1974.
  • Une économie sociale brimée par une augmentation de 20% des cotisations  alors que celles de l’économie conventionnelle seraient divisées par deux.

 

Ce gouvernement affirme souvent: c’est sans précédent. C’est rarement réalité. Mais le fait de puiser sans vergogne, à larges mains dans les caisses de la Sécurité Sociale et un fait sans précédent. 500 millions par la suppression du forfait social, exonération sur les heures supplémentaires etc. Le budget de la sécu devait être en équilibre, il sera déficitaire de près de 3 milliards d’euros. Et le budget de l’Etat s’en trouve d’autant et artificiellement soulagé.

L’occasion était belle pourtant. En 2018 les entreprises du CAC 40 ont dégagé 93 milliards d’euros et 56 milliards sont allés dans les poches des actionnaires et peu vers les investissements. En répartissant mieux les richesses créées, en assurant la transparence sur les revenus, en associant à la décision les salariés, vous auriez délivré un message apprécié des Français.

Permettez-moi de vous lire deux des recommandations du CESE :

  • développer une éducation innovante et réductrice d’inégalités sociales ; améliorer le pouvoir d’achat et la transparence des rémunérations des dirigeants
  • refonder le contrat social dans l’entreprise qui devra s’appuyer sur une plus large participation des salariés aux instances de gouvernance

 

Mais vous avez fait exactement le contraire. Ne soyez pas étonnés que les Français ne vous suivent pas.