Comment définir, faire rentrer dans une phrase qui l’enfermerait, une valeur de portée universelle dont la caractéristique est de refuser toute vérité révélée, d’offrir à chacun le droit d’être différent, de penser différemment, de forger ses propres jugements ? Une telle tentative pour la circonscrire dans une formule définitive serait parfaitement contradictoire avec ce qu’elle porte d’infini.
Certains se sont essayés à en donner, non une définition, mais à énumérer les conditions de son existence et d’en présenter les effets bénéfiques sur la condition humaine et la promotion de la société.
Jean Cornec: » La laïcité n’est pas une idéologie, une philosophie, c’est une sagesse. La Laïcité ne se définit pas, elle se sent, elle se vit. Elle ne peut pas être dogmatique, sous peine à son tour de devenir cléricale. Elle est un idéal »
Jean Rostand: » être laïque , c’est former les esprits sans les conformer, les enrichir sans les endoctriner, les armer sans les enrôler, leur donner le meilleur de soi sans attendre le salaire qui est la ressemblance »
Avec humilité, compte-tenu de ce qui précède, je considère que la laïcité est la condition première d’un un art de vivre ensemble, fondé sur la confrontation et le débat, le dialogue. La laïcité travaille à la constitution d’espaces publics de pluralisme, de discussion d’idées, de tolérance. Elle permet la coexistence des libertés et pour chacun d’apprendre à dépasser ses propres convictions pour que puisse apparaître, au-delà de celles-ci, ce qui peut être commun à tous les hommes
Elle est un impératif pour une vraie démocratie, elle en est la condition nécessaire mais insuffisante. Mustapha Kemal Ataturk a fait de la Turquie l’un des rares Etats laïque dans une région du monde à majorité musulmane. Un Etat laïque qui n’obéit pas dans son organisation, ses orientations politiques, sa morale à une quelconque loi universelle concédée par un dieu auquel on serait contraint de croire. La Turquie offre-t-elle, pour autant, à chaque habitant le droit de penser par lui-même, la liberté d’expression, le droit d’aller et venir, le droit des minorités d’être entendues et respectées, toutes conditions qui caractérisent une démocratie ? Nous conviendrons qu’on en est encore loin.
Faute d’une définition précise, nous pouvons , au moins affirmer ce que la laïcité n’est pas
- Elle n’est pas un instrument de lutte contre les religions. Elle est, par contre, un refus de l’endoctrinement et un refus de l’asservissement de l’Etat et des individus à toute forme de religion ou d’idéologie. Ce ne sont pas les tenants d’une philosophie de la laïcité qui s’opposent à la pratique des cultes : qui s’opposait à l’édification d’une mosquée à Rennes ? Le plus grand ennemi d’une religion est une autre religion.
- Si elle impose la tolérance, elle ne peut se résumer à tolérance (pas seulement parce qu’il ya des maisons pour ça !! selon Clémenceau ou Claudel) Il ne suffit pas d’être tolérant car ainsi que le disait Mirabeau « l’autorité qui tolère pourrait ne pas tolérer »
La Laïcité menacée
Pas plus qu’il n’existe de vérité révélée, il n’y a pas d’adhésion éternelle des peuples comme à une loi naturelle, à la préservation et à la promotion de la laïcité.. Elle est toujours menacée par ceux qui veulent imposer la pensée unique, la pensée dirigeante pour servir leurs propres fins, oppresser par la force ou l’idéologie :
- Menacée par la sémantique, cette tentation de lui enlever sa valeur universelle, la force qu’elle représente par l’accolement d’un adjectif : la laïcité positive ! Y aurait-il une laïcité négative ? vous me pardonnerez ce rapprochement audacieux : ajouter un adjectif à amour et vous en dénaturez le sens. « Je t’aime » n’a aucune commune mesure avec « je t’aime bien » ou même « je t’aime beaucoup »
- Menacée par les marchands de bonheur dont la seule ambition est de transformer le citoyen libre et disposant de sa propre faculté de jugement en consommateur conditionné par une philosophie détournée de son sens premier. Le bonheur par exemple, c’est une curieuse alchimie de mise en adéquation de ce que nous sommes, de la qualité de notre environnement naturel et humain, de l’harmonie de nos relations avec les autres. Pour le néolibéralisme, le bonheur est dans la consommation du dernier smartphone, du dernier modèle de voiture. Et si vous n’avez pas d’argent pour satisfaire vos envies : « empruntez ! empruntez ! le bonheur est dans le prêt ! »
- Elle est bafouée par tout ce qui attente à la liberté : la tyrannie, la théocratie, la dictature, la « Doxa » telle que la définissait Bourdieu. Toutes volontés de domination qui interdit toute recherche de vérité puisque celle-ci est imposée par la force ou par son essence divine ou par une idéologie imprégnant toutes nos pensées.
- Parce qu’elle est l’expression de la liberté individuelle elle est atteinte par tout ce qui l’entrave : la misère, l’humiliation sociale, les discriminations dans l’habitat, les exclusions liées au sexe, à l’apparence physique, à l’origine. L’inégalité sociale qui donne plus de poids à la parole des riches, plus de chances de réussir leur vie, leur carrière, qui cantonne dans une forme de déterminisme social ceux que la naissance a condamné à un destin négatif, illustrent le fait que nous avons encore d’immenses efforts à accomplir, beaucoup de changements à engager pour construire une société plus harmonieuse, plus accueillante qui offre à tous les conditions de leur épanouissement et de l’expression de leurs talents. C’est tout le sens de la politique que nous menons depuis 2004 en Ille et Vilaine, avec persévérance mais le défi de considérable.
Ne nous y trompons pas, la laïcité est une valeur universelle , une aspiration collective à nourrir, un idéal à atteindre plus qu’une réalité établie une fois pour toutes. Une aspiration jamais complètement satisfaite Elle est une exigence de réflexion permanente sur les libertés individuelles comme sur la conception d’une société qui doit en garantir l’expression. Elle impose des citoyens éclairés et vigilants, des militants ardents pour en déceler les corruptions, les déviances et favoriser l’adhésion de l’ensemble de la population au respect de l’autre, de sa dignité, de ses opinions…
La laïcité dans son acception de 1905, par exemple, n’est que la proclamation d’un état laïc qui respecte la liberté de conscience, l’affirmation du droit de pratiquer la religion de son choix ou de n’en point pratiquer et sépare les biens du clergé et de l’Etat. Ce ne fut que la coupure du lien ombilical qui unissait l’église et l’Etat, la fin d’une religion d’état.
Ce n’était pas encore la rupture dans les têtes avec les aliénations nées de siècles d’histoire pavlovienne, vécue et enseignée pour créer le reflexe conditionné de soumission de la pensée. La constitution d’Anderson, charte originelle de la Franc-Maçonnerie: « le maçon ne sera pas un athée stupide » laisse à cet égard planer une petite ambigüité quant à son sens profond. Ambiguïté résolue par les années qui ont suivi et par une pratique qui ne laisse planer aucun doute sur l’attachement des « frères » à une conception universelle de la laïcité.
Il aura fallu les hussards noirs de la République, ces enseignants, engagés, dévoués, militants dépensant de l’énergie, de l’intelligence, de la conviction pour que l’éducation fasse naître des citoyen responsables, libres de leurs pensées et opinions, capables de construire seuls leur propre jugement. Et Il aura fallu la persévérance, l’opiniâtreté , les convictions de militants tels que vous pour que progresse sans cesse le droit à la citoyenneté. Considérons cependant qu’il reste encore beaucoup d’efforts à faire pour libérer plus encore l’esprit critique. Aussi avez-vous raison de continuer votre beau combat !!
Au Conseil général d’Ille-et-Vilaine, nous avions annoncé la création d’un observatoire de la laïcité. Nous tiendrons, ici comme en toutes circonstances, nos engagements. Un observatoire composé de représentants de la société civile, d’hommes et de femmes libres, attachés à l’épanouissement de tous, à la démocratie participative. D’hommes et de femmes qui approfondiront la réflexion sur toutes les libertés, les conditions pour accéder à leur expression, traquer toutes les entorses, les atteintes, les entraves à l’expression pleine et entière de la laïcité. Nous construirons ensemble cet espace d’échange et de tolérance, ouvert à tous, riche de conférences et de débats. Nous défendrons cette laïcité en cela qu’ elle est l’expression même de l’ouverture au monde, de l’ouverture aux autres et de la solidarité.
Comme nous continuerons de travailler pour que chacun, quelles que soient les conditions de sa naissance, ne soit pas condamné par celle-ci. Nous voulons continuer de construire une société qui accueille plus qu’elle n’exclue, qui favorise l’épanouissement de tous ses membres, l’expression de leur talent, leur insertion harmonieuse dans la collectivité comme dans le monde professionne. La solidarité, nous la faisons vivre aussi entre les territoires de l’Ille-et-Vilaine, en valorisant ce qui lie le plus riche des territoires au plus pauvre, le plus grand au plus petit, le plus fort au plus modeste, le plus enclavé au plus intégré, le plus rural au plus urbain. Nous œuvrons pour que le Département d’Ille-et-Vilaine soit l’espace d’expression des solidarités indispensables à notre pacte républicain. N’est-ce pas là, finalement, un idéal politique profondément laïque ?
Henri Pena Ruiz a dit ceci : « la laïcité est un idéal positif d’affirmation de la liberté de conscience, de l’égalité des croyants et des athées et de l’idée que la loi républicaine doit viser le bien commun et non pas l’intérêt particulier ».
C’est une philosophie sociale, solidaire, humaniste, c’est celle aussi qui doit guider l’action publique et politique. Jamais ne nous en départissons !